sida ruban rouge ou étoile jaune

Publié le par katy31

Sida: ruban rouge ou étoile jaune?


la veille de la XVIIe Conférence internationale sur le sida à México du 3 au 8 août 2008, certains événements récents peuvent inciter les personnes séropositives au VIH à craindre qu'une nouvelle forme de discrimination se pointe à l'horizon. Vertueusement déguisée sous les habits du bon sens, cette discrimination se répand d'autant qu'elle est poussée par les «tribunes» populaires, si chères aux médias d'aujourd'hui, mais surtout qu'elle s'exprime sans qu'aucune autorité de santé publique de l'État québécois n'intervienne dans le débat. Même des journalistes dits sérieux embarquent dans la ronde et expriment en toute simplicité des préjugés qui les déshonorent.

L'affaire récente de cette femme condamnée pour avoir omis de dévoiler sa séropositivité ramène collectivement les personnes séropositives à la douloureuse période de rejet qu'elles ont ressenti lors de la supposée contamination de centaines d'enfants à Sainte-Justine et aux déclarations du cardinal Turcotte sur la nécessité de connaître le statut sérologique de ses séminaristes. La société québécoise dans son ensemble est très mal informée sur les réalités vécues par les personnes séropositives et sur leurs droits et elle l'est encore plus sur le VIH lui-même.

Tout dévoiler

Le dévoilement pour une personne vivant avec le VIH est un questionnement quotidien qui a des conséquences multiples. Peut-on obliger une personne séropositive à dévoiler son statut à son patron, à son syndicat? L'expérience nous dit que si elle le fait, dans la majorité des cas, elle perd son emploi (sous des prétextes fumeux, mais légaux) ou alors elle doit démissionner sous la pression du rejet. Même si la loi assure, en principe, que la discrimination des personnes séropositives au VIH est interdite où que ce soit dans notre Québec, si ouvert et tolérant, cette discrimination se glisse partout au quotidien.

Peut-on reprocher à une personne discriminée de se protéger par le silence, quand c'est la seule arme qui lui reste? Qui aurait l'idée de reprocher aux victimes de l'Holocauste d'avoir cherché à cacher leur statut (identité juive, tzigane, homosexuelle)? On me dira bien sûr, à propos de cette comparaison, qu'elle est inconvenante, mais l'est-elle vraiment? À lire ou entendre les propos tenus sur le jugement du juge Bisson dans l'affaire de cette femme séropositive accusée d'avoir gardé le silence sur son statut, on peut affirmer qu'il ne fait pas bon d'être séropositif dans notre société et que la prochaine étape, après l'obligation du dévoilement, sera celle de l'obligation de la délation.

On fait grand cas partout du fait que le dévoilement de la personne séropositive dans le cas des rapports sexuels est totalement justifié. Ce dévoilement est souhaitable, tout le monde ou presque en convient, mais peut-on l'exiger? Sur cette question, nous avons pu lire dernièrement des propos délirants. Délirants parce qu'un tel dévoilement semble impliquer, pour ceux et celles qui l'exigent, que le VIH ne se transmettra plus comme par magie, délirants aussi parce qu'en supposant que la personne séropositive révèle son statut et que l'autre personne impliquée dans l'acte sexuel accepte d'engager la relation sexuelle (avec condom), qui peut nous assurer que la personne séropositive ne sera pas poursuivie par la suite? Qui croira-t-on alors? La personne séropositive ou l'autre personne qui se dira victime d'assaut par une personne atteinte?

Cet argumentaire est inepte. Si on veut absolument imposer cette règle aux personnes séropositives, il faudra alors les ficher (comme on s'apprête à le faire en France avec le fichier Edvige) et leur fournir des documents gouvernementaux officiels avec clause de non-responsabilité à faire signer avant toute relation sexuelle. La question qui se pose alors, qu'on le veuille ou non, est: faut-il remplacer le ruban rouge par l'étoile jaune, ce bout de tissu en forme d'étoile de David qui désignait les gens d'origine juive sous le régime nazi?

Le racisme séronégatif et ses conséquences

Oui, racisme séronégatif, puisqu'il faut bien l'appeler par son nom et qu'il pointe son nez un peu partout comme la bête nazie qui a réussi à s'étendre dans une indifférence complice de la part de tous les pays qui ont été si prompts à dire après coup «nous ne savions pas». Ce rejet a déjà des conséquences dramatiques dans notre société. Le «village» gai ou, pour poursuivre dans l'allégorie, le «ghetto» homosexuel a des taux d'infection de maladies sexuellement transmissibles qui se comparent au taux d'infection au VIH des pays endémiques. Pour quelles raisons? Sans avoir la tête à Papineau ou celle de Freud, on peut quand même supposer que le contexte de rejet systématique des personnes séropositives dans notre société encourage le déni et décourage les personnes à risque de se faire dépister.

Sans approuver les comportements à risque, on peut certes les comprendre dans un tel contexte. De plus, certaines personnes séronégatives semblent tenir pour acquis que le VIH ne les concerne pas personnellement, alors qu'il s'agit d'un virus et que, comme tout virus qui se respecte, il cherche à infecter le plus de gens possible, quelle que soit la gueule qu'ils aient. Vouloir rejeter toutes les responsabilités sur les personnes atteintes du VIH peut vous procurer un temps le sentiment d'être à l'abri, mais un virus n'est pas sensible aux sentiments ou aux arguments, qu'ils soient vrais ou faux; il est sensible aux comportements.

Pouvez-vous, en toute franchise, vous qui êtes si prompts à condamner les personnes séropositives, déclarer n'avoir jamais eu de comportements à risque, être absolument certains de votre statut sérologique ou de celui de vos partenaires, au point de laisser la protection de votre santé sexuelle à la bonne volonté des autres?

Nous sommes individuellement responsables de nos comportements. On ne peut pas honnêtement accuser toujours le fast-food de risquer de nous faire grossir et obliger les grandes chaînes de fast-food à «dévoiler» officiellement qu'elles mettent notre santé en danger. Si l'on veut être en forme, on choisit d'en manger ou pas. De la même façon, si l'on veut éviter d'être séropositif au VIH, on se protège et on ne se fie pas uniquement au «dévoile

ment» forcé des personnes qui pourraient nous infecter.

Les personnes séropositives ont des droits et pas seulement des devoirs

Quand on n'aime pas le message, on attaque le messager, c'est un comportement vieux comme le monde. Dans pratiquement tous les articles ou reportages sur le jugement du juge Bisson, les journalistes sont tombés à bras raccourcis sur le message qu'a tenté de faire passer Lyse Pinault, de la COCQ-sida.

Ce message est que chaque personne a le devoir de se protéger lors d'une relation sexuelle et que ce devoir n'appartient pas uniquement aux personnes séropositives. Le dévoilement de la séropositivité n'est pas une garantie de protection contre les infections, le condom l'est. Ce message est pourtant le même que celui de la Santé publique québécoise et de toutes les organisations internationales en matière de santé et de droits de l'homme. Nos grands journalistes ou chroniqueurs devraient réfléchir et se documenter avant de vilipender les personnes qui tentent de faire passer un message de santé publique universellement reconnu.

Dans les Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de l'homme du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) et du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), version consolidée 2006, Louise Arbour, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, et Peter Piot, directeur exécutif du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida, invitent les États à «réexaminer et réformer la législation relative à la santé publique pour s'assurer qu'elle traite de façon adéquate les questions de santé publique posées par le VIH, que les dispositions de la loi applicables aux maladies fortuitement transmissibles ne sont pas appliquées à tort au VIH et sont compatibles avec les obligations internationales en matière de droits de l'homme» ainsi qu'«à réformer la législation pénale et le régime pénitentiaire pour qu'ils soient compatibles avec les obligations internationales en matière de droits de l'homme et ne soient pas indûment utilisés dans le contexte du VIH ou à l'encontre de groupes vulnérables».

Il est grand temps que les responsables politiques en santé fassent entendre leur voix pour mettre fin à cette chasse aux sorcières qui vise les personnes séropositives du Québec. Le travail inlassable des organismes VIH-sida en matière de prévention et de protection des personnes atteintes est essentiel et doit être encouragé et reconnu. Mais au-delà de tout cela, les personnes séropositives du Québec doivent être rassurées. On doit leur dire qu'elles sont des Québécoises et des Québécois qui ont les mêmes droits que tout le monde, qu'elles ne sont pas des «exclues» qui ont l'obligation d'afficher leur statut sous peine d'être emprisonnées si elles ne le dévoilent pas. Sinon, le rejet «institutionnalisé» va s'installer. Sinon, le ruban rouge aura valeur d'étoile jaune.

Publié dans culture

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